Notre série « A Livre ouvert » se poursuit et après Honoré de Balzac on aborde le 20ème siècle grâce à Francis Carco considéré par ses pairs et le grand public comme «l'écrivain des bas-fonds». Et il est vrai qu’à la lecture de « Jésus-la-Caille»on se sent totalement en immersion dans la faune parisienne avec comme décor de théâtre, les rues obscures, les bars enfumés et bruyants où se mêlent tour à tour des mauvais garçons et des filles de joie ,des marlous et des bandits de petits et grands chemins, des effluves d’absinthe et de bière et des parfums de femmes et d’hommes en proie à leurs doutes et leurs pulsions animales
On perçoit Paname et le merveilleux quartier de Montmartre en
suivant le charismatique Jésus-la-Caille, maquereau homosexuel qui va un
jour franchir le Rubicon pour l'amour d'une femme, la jolie Fernande.
Le ton est volontiers gouailleur sur les dialogues et
beaucoup plus soutenu sur la narration de l’histoire et le tout est hyper bien écrit.
On est ici au cœur de ce Paris de 1910 avec la sensation d’être constamment
avec Pépé la vache, Fernande, Jésus-la-Caille quelques années avant la belle
époque des cabarets et des années folles . Une atmosphère qui, un peu plus
tard, inspirera de nombreux réalisateurs de cinéma tel Jean Renoir, Julien Duvivier
ou encore Marcel Carné. Un livre épopée que je vous recommande plus que
vivement.
Fernande
n'aimait pas ce quartier où, depuis qu'elle avait quitté Montmartre et
Jésus-la-Caille, son nouvel amant vivait avec elle. C'est lui qu'elle allait
rejoindre tout à l'heure dans un débit de la rue de l'Orillon et elle y était
faite comme à une habitude que rien ne dérangera plus.
Cependant, la nuit tombait. Des filles se
mêlaient aux ouvriers, aux ouvrières, aux ivrognes et à de tout jeunes
garnements qui marchaient, par quatre ou cinq, en tétant leurs cigarettes. Du
métro s'échappait un flot lourd d'employés. Il débordait par nappes et l'on
pouvait voir, à la même minute, le même et fiévreux inconnu pousser la porte
carillonnante d'une épicerie, tourner un coin de rue ou passer, vivement dans
la lumière des becs de gaz… Les étages s'éclairaient tristement. Le ciel
restait noir et quand Fernande arrivait à la table où Pépé attendait en lisant
un journal de sport, elle avait dans la tête cent images confuses.
— Ça ne va pas ? demandait Pépé… Allons…
prends ton glass avant qu'on se barre…
— On a bien le temps ! songeait Fernande.
Mais Pépé l'arrachait à sa rêverie et, sûr de
lui, annonçait qu'après « la croûte », il payait le « Ciné » à la môme ou le
Caf'Conc', à son goût.